Le processus mystérieux de l’écriture
Fine analyste de la société contemporaine, Karine Tuil partage ici ses réflexions sur le mystérieux processus d’écriture.
D’un côté, le fantasme, la légende, l’idéalisation ; de l’autre, le réel et son opacité, ses frustrations, son incapacité – l’écriture, c’est ça : cette mystification déconcertante. Ça vient toujours au cours d’une conversation : moi aussi, j’écris ; moi aussi, j’aimerais écrire ; j’ai une idée, quelques lignes, un sujet, une ambition, un rêve, puis aussitôt cette question : comment faire ? Je voudrais pouvoir fournir le mode d’emploi, la grille de lecture, laisser penser qu’il y aurait des techniques, des facilités. Écrire, c’est avant tout faire l’expérience de la résistance, de la défaite, de l’absolue solitude – les écrivains en parlent rarement ou entre eux, comme un secret bien gardé, c’est un métier où l’on expose peu ses doutes comme s’il fallait à tout prix continuer à alimenter la machine à fantasmes. Dans Écrire, que je relis toujours au cours de l’écriture d’un roman, Marguerite Duras note : « si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine. » On avance dans le noir, sans savoir si l’on va arriver quelque part, s’il y aura de la lumière, si l’on y trouvera un sens, on part sans stratégie, seul toujours, pour une période indéterminée, sans aucune assurance quant à la réussite de l’opération, c’est l’union de « l’urgence et la patience » ainsi que Jean-Philippe Toussaint a qualifié le processus d’écriture dans son ouvrage éponyme. Écrire est à la fois l’activité la plus simple (une feuille de papier, un crayon, rien de plus) et la plus complexe (comment faire surgir quelque chose de ce matériau impalpable, énigmatique qu’est le mot ?) Il faut lire, évidemment, dans un monde où tout nous détourne de la lecture. Mais il faut aussi, peut-être, s’autoriser à céder à la nécessité impérieuse, chercher en soi, très profondément, sans retenue pour faire surgir la singularité d’une voix intérieure. Cela exige de la solitude, du courage, de l’aveuglement, de la discipline, du souffle – une chambre à soi.
À propos de Karine Tuil
Autrice de douze romans et d’un recueil de poèmes, Karine Tuil a reçu le Prix Interallié et le Goncourt des Lycéens pour Les Choses Humaines en 2019. Ses livres explorent les ambiguïtés humaines et des sujets de société. En 2023, elle a été titulaire de la Chaire d’écrivain en résidence à Sciences Po, soutenue par Karen et Michel Reybier.
À propos du Prix Littéraire Michel Reybier
Le Prix Littéraire Michel Reybier a été créé en 2021 en partenariat avec Sciences Po pour encourager la culture et la transmission. Il récompense des auteurs et autrices de langue française pour la qualité de leur œuvre et leur engagement auprès des étudiants.
Cet article est un extrait de La Réserve Magazine N° 31 by Michel Reybier Hospitality, que vous pouvez consulter en ligne ici.